Nadja - André Breton, 1927
Ma première promenade me conduit au cœur du Palais-Royal, un matin d'août qui vire à l'automne.
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Jardin du Palais-Royal, août 2017 |
Dans mon sac j'ai emporté Nadja, texte inclassable, déambulation d'André Breton aux côtés d'une jeune femme rencontrée un après-midi d'octobre, au hasard d'une rue parisienne. Il m'a semblé que ce recueil de moments et de photographies, à l'affût de la magie des circonstances et des "pétrifiantes coïncidences" cachées entre les choses, les instants et les êtres, est celui d'un vrai promeneur, d'un voyant.
De Nadja, j'aime l'allure singulière et frêle qui "se pose à peine en marchant" ainsi que le surnom fragile, mutilé, "parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement." La liberté sans accommodement de "cette âme errante" - jusqu'à la folie - me fascine autant qu'elle m'effraie.
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Galerie du Palais-Royal, août 2017 |
Elle avait oublié de me faire part de l'étrange aventure qui lui est arrivée hier soir, vers huit heures, comme, se croyant seule, elle se promenait à mi-voix chantant et esquissant quelques pas de danse sous une galerie du Palais-Royal. Une vieille dame est apparue sur le pas d'une porte fermée et elle a cru que cette personne allait lui demander de l'argent. Mais elle était seulement en quête d'un crayon. Nadja lui ayant prêté le sien, elle a fait mine de griffonner quelques mots sur une carte de visite avant de la glisser sous la porte. Par la même occasion elle a remis à Nadja une carte semblable, tout en lui expliquant qu'elle était venue pour voir "Madame Camée" et que celle-ci n'était malheureusement pas là. Ceci se passait devant le magasin au fronton duquel on peut lire les mots : CAMÉES DURS. Cette femme, selon Nadja, ne pouvait être qu'une sorcière."
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Jardin du Palais-Royal, août 2017 |
Il se peut que la vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme. Des escaliers secrets, des cadres dont les tableaux glissent rapidement et disparaissent pour faire place à ceux qui doivent avancer toujours, des boutons sur lesquels on fait très indirectement pression et qui provoquent le déplacement en hauteur, en longueur, de toute une salle et le plus rapide changement de décor : il est permis de concevoir la plus grande aventure de l'esprit comme un voyage de ce genre au paradis des pièges. Qui est la vraie Nadja, de celle qui m'assure avoir erré toute une nuit, en compagnie d'un archéologue, dans la forêt de Fontainebleau, à la recherche de je ne sais quels vestiges de pierre que, se dira-t-on, il était bien temps de découvrir pendant le jour - mais si c'était la passion de cet homme ! - je veux dire de la créature toujours inspirée et inspirante qui n'aimait qu'être dans la rue, pour elle seul champ d'expérience valable, dans la rue, à portée d'interrogation de tout être humain lancé sur une grande chimère, ou (pourquoi ne pas le reconnaître ?) de celle qui tombait, parfois, parce qu'enfin d'autres s'étaient crus autorisés à lui adresser la parole, n'avaient su voir en elle que la plus pauvre de toutes les femmes et de toutes la plus mal défendue ? "
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Jardin du Palais-Royal, août 2017 |
J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher, mais qu'il ne saurait question de se soumettre... J'ai vu ses yeux de fougères s'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'ailes de l'espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais vu encore que des yeux se fermer. Je sais que ce départ, pour Nadja, d'un point où il est déjà si rare, si téméraire de vouloir arriver, s'effectuait au mépris de tout ce qu'il est convenu d'invoquer au moment où l'on se perd, très loin volontairement du dernier radeau, aux dépens de tout ce qui fait les fausses, mais les presque irrésistibles compensations de la vie."
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Jardin du Palais-Royal, août 2017 |
Elle était forte, enfin, et très faible, comme on peut l'être, de cette idée qui avait toujours été la sienne, mais dans laquelle je ne l'avais que trop aidée à donner le pas sur les autres : à savoir que la liberté, acquise ici bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu'on jouisse d'elle sans restrictions dans le temps où elle est donnée, sans considération pragmatique d'aucune sorte et cela parce que l'émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu'il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir..."
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Galerie du Palais-Royal, août 2017 |
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