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Une promenade avec Dimitri Verhulst

La Merditude des choses, 2006

(Traduction du néerlandais par Danielle Losman)

Détour littéraire vers la Belgique pour un extrait de ce récit inspiré par la jeunesse de son auteur.

Dans un imaginaire village flamand oublié des guides touristiques, Dimitri vit avec ses trois oncles et son père, quatre fieffés soiffards revenus habiter chez leur mère. Au rythme du rock vieillissant de Roy Orbison, des visites d'huissiers et des records soûlographiques des quatre hommes (ainsi le loufoque Tour de France à boire de l'oncle Poutrel !), le jeune garçon tente de grandir en portant sur le monde qui l'entoure un regard lucide jamais dénué de finesse ni de tendresse. 

Il en résulte un roman drôle et juste, doucement amer et rudement humain, où le sordide des situations coudoie le sublime des émotions, où la faiblesse des hommes nourrit la noblesse de l'écriture.

Voici à lire un extrait du chapitre 9 : revenu d'une cure de désintoxication, le père de Dimitri veut offrir à son fils une paire de chaussures de course, pour participer le lendemain à une compétition locale.

- Le guéri -


Course des écluses, septembre 2017

Des chaussures à crampons. C'est vrai, à cette époque je courais volontiers, avec passion, en général de longues distances à travers champs, et de préférence durant les mois d'octobre et de novembre, lorsque la campagne sent si bon et que les noix jonchent l'herbe. Je n'étais pas un grand talent, mais je courais mieux que la moyenne et il m'est arrivé quelquefois de revenir d'une compétition avec une médaille ou même un trophée, par accident disons, lorsque les meilleurs déclaraient forfait.

Course des écluses, septembre 2017

L'athlétisme est le sport par excellence de celui qui ne possède pas grand-chose, pas besoin d'installations. On peut courir partout, gratuitement. La grande championne Zola Budd a montré à cette époque que même pieds nus on peut pulvériser des records et toute une génération d'Éthiopiens et de Kényans sont montés au créneau, prônant la pauvreté plutôt que les chaussures à crampons aux jeunes aspirants coureurs de fond, ce qui ne m'a pas empêché d'être fou de joie de mes nouvelles chaussures. 

Course des écluses, septembre 2017

Les possibilités étaient là, et peu de conditions restaient à remplir, j'aurais pu, aujourd'hui, avoir été un coureur pas trop minable. Mon endurance était bonne, même très bonne si l'on m'accorde ce manque de modestie, et c'est sans rancune que je constate aujourd'hui que je ne pourrais plus avaler cinq kilomètres en moins d'une demi-heure. Du moins, je le suppose, car je ne songe plus depuis longtemps à me commettre en short sur les pistes. La seule idée de quitter la maison en short est déjà trop lourde à porter, alors courir dans ce costume en plus...

Course des écluses, septembre 2017

Ce n'est que plus tard, lorsque j'ai lu le livre le plus célèbre d'Alan Sillitoe, The Loneliness of the Long-Distance Runner, que j'ai compris que c'était dans la logique des choses d'avoir été un enfant coureur de fond. Courir était le sport des internats, des orphelinats, des maisons de correction et des institutions pour jeunes où je devais finir par atterrir. Les écoles étaient fières des exploits sportifs de leurs pensionnaires et liaient volontiers leur nom et leur réputation au vainqueur, comme si leur enseignement et leur discipline ringarde avaient contribué à le fabriquer. Pas étonnant que j'aie déclaré chaque fois forfait lors des championnats interécoles, tout comme le personnage principal du roman j'étais horrifié à l'idée d'offrir à mon établissement la coupe de la victoire.

Course des écluses, septembre 2017   

Courir était en outre l'héritage sportif de mon père."

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